Crédit photo : 2019. Pierre Lahoud.
Les années 1945 à 1960 mettent en place la grande prospérité économique d’après-guerre qui se traduit par une importante augmentation de la population, communément appelé le « baby-boom », en plus d’une forte production industrielle. À partir des années 1960, des changements rapides touchent toutes les sphères de la vie collective québécoise, particulièrement l’éducation, la culture, la santé, le loisir et la nationalisation de l’électricité. Cette période amène d’importantes transformations et de profondes mutations qui façonnent les paysages tant urbains, villageois que ruraux. En effet, l’engouement pour l’automobile, l’expansion des autoroutes, l’attrait pour les banlieues et l’ère des centres d’achats suscitent une forte empreinte sur les paysages. En parallèle, une sensibilité au patrimoine, au paysage et à l’environnement se construit progressivement de même qu’un engouement pour la récréation qui modifie la relation à plusieurs éléments du paysage.
Les éléments structurants de la période moderne
Durant cette période, si les cours d’eau, les reliefs et la forêt demeurent toujours des éléments naturels fondamentaux qui influencent l’occupation du territoire, la manière et les motivations de les occuper deviennent radicalement différentes des périodes précédentes. En effet, les transformations des paysages dues à l’urbanisation sont fulgurantes de telle sorte que la présence des espaces agricoles s’atténue de plus en plus. Les édifices gagnent en hauteur et en nombre, et les surfaces urbanisées s’étendent de plus en plus loin. Mais surtout, de grands pans de paysages sont convertis en secteurs résidentiels ou commerciaux et morcelés par les autoroutes ou les grands réseaux hydroélectriques. La transformation de surfaces cultivées ou boisées et l’augmentation du gabarit des bâtiments touchent autant des secteurs résidentiels que commerciaux.
Alors que les paysages d’avant-guerre se composaient de villages et de quartiers axés sur une activité surtout locale, le modèle de l’après-guerre change tout avec l’utilisation généralisée de l’automobile. Cette popularité croissante de l’automobile, conjuguée à une explosion démographique, favorise l’expansion urbaine et les banlieues. S’ensuit un exode massif hors des quartiers centraux, facilité par l’extension du réseau routier. Plusieurs secteurs résidentiels naissent, transforment des villages ou occupent des pans d’espaces agricoles ou forestiers. Toutefois, la comparaison de différentes photographies démontre également comment la plantation d’arbres sur les terrains des banlieues a permis de verdir les quartiers résidentiels, établis sur d’anciennes terres agricoles et de créer une forêt urbaine mature qui contribue à la qualité du paysage de quartiers plus âgés.
- En savoir plus : l’évolution de la forme urbaine et la progression résidentielle
Cette carte permet de comprendre l’évolution de la forme urbaine sur le territoire de la CMQ, selon la date de construction de tous les bâtiments existants en 2018. Cinq schémas illustrent la progression de la forme urbaine à partir de 1940 jusqu’à 2018.
Deux autres outils permettent de visualiser la progression résidentielle sur le territoire de la CMQ :
- En premier lieu, la carte suivante donne un aperçu de la répartition des bâtiments existants aujourd’hui selon leur date de construction par décennie.
- En second lieu, les diagrammes suivants illustrent la répartition du nombre de bâtiments existants en 2018 en fonction des différents types de paysages et de leur période de construction enregistrée au rôle d’évaluation.
Paysages de banlieue
Jusque dans les années 2000, les bâtiments résidentiels se concentrent avant tout dans les Basses-terres du Saint-Laurent, tant sur la rive nord que sur la rive sud. À partir des années 2000, cette progression ralentit ou se stabilise alors que le nombre de bâtiments croît significativement dans le contrefort des Laurentides.
Des maisons unifamiliales construites pour les vétérans s’implantent après la guerre dans des quartiers ou en banlieue. Puis, la banlieue des années 1960-70 s’étend naturellement à partir des quartiers, des noyaux centraux et des premières banlieues construites à la période précédente. Puis, avec la croissance urbaine et l’extension du réseau routier, les banlieues des années 1980-90 et 2000 s’éloignent davantage.
À Québec, la banlieue transforme presque l’entièreté du promontoire de Québec, une partie des secteurs près des rivières Saint-Charles et du Cap Rouge, la terrasse de Charlesbourg, de Limoilou jusqu’au Trait-Carré, ainsi que les terrasses de L’Ancienne-Lorette et de Beauport. Des quartiers résidentiels uniformes émergent, composés majoritairement de maisons unifamiliales de petit gabarit, le bungalow, alignées sur une trame de rues régulières. C’est le cas de Sainte-Foy avec ses paroisses dortoirs homogènes, centrées sur l’église, le presbytère, l’école et le parc-école, et desservies par un petit centre d’achat avec des commerces de proximité. Graduellement, des ensembles de maisons en rangée, de multi-logements et des tours d’habitation compléteront cette trame.
Après 2016. Le quartier résidentiel de Sainte-Foy. Pierre Lahoud.
Avant 1937. Le village de Sainte-Foy. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N019057.
Désormais, la banlieue forme une continuité bâtie dans les secteurs près de la rivière du Cap Rouge et sur un large croissant situé sur les terrasses de Saint-Augustin jusqu’à Beauport, Sainte-Thérèse-de-Lisieux et Courville. En parallèle, des bâtiments gagnent en hauteur ou forment de larges gabarits et des ensembles résidentiels plus imposants. Par exemple, c’est le cas dans Saint-Augustin avec le complexe Humania, dans Sillery avec les Jardins de Mérici ou le long d’axes importants comme le boulevard des Quatre-Bourgeois.
Après 2016. Quartiers de Beauport. Pierre Lahoud.
Avant 1937. Vue du noyau villageois de Beauport, entouré d’espaces agricoles. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N023397.
La comparaison des photographies aériennes suivantes permet de constater cette progression résidentielle dans Québec. Elles illustrent les transformations qui s’opèrent de 1948 à 2015 sur la colline de Québec, dans les secteurs près de la rivière Saint-Charles et sur les terrasses de Charlesbourg, et de Beauport.
À Lévis, la banlieue des années 1960-70 se concentre aussi près des noyaux anciens, dans les secteurs de Lévis, Lauzon, Saint-Romuald et Charny, ou dans la plaine, dans Saint-Jean-Chrysostome, Bernières, Saint-Rédempteur et Saint-Étienne-de-Lauzon. Dans les années subséquentes, s’opère un boom immobilier qui transforme la plaine de Lévis comme en témoignent les photographies suivantes.
Après 2016. Vue de l’anse Tibbits et de la croissance des quartiers à Lévis. Pierre Lahoud.
Avant 1946. À Lévis, de grands espaces agricoles occupent l’arrière de la frange littorale alors que le ralentissement des activités industrielles riveraines se fait sentir. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N023592.
À Québec comme à Lévis, la ville se réinvente également sur ses propres traces. Plusieurs terrains d’industries font l’objet de mutations en terrains résidentiels. C’est le cas de projets le long du fleuve et de la rivière Saint-Charles. La cimenterie Saint-Laurent dans Beauport ou du secteur de Pointe-aux-Lièvres dans Québec en sont aussi des exemples.
Sur la côte de Beaupré, la progression résidentielle s’est limitée principalement aux Basses-terres du Saint-Laurent, à l’exception de nouveaux développements associés au mont Sainte-Anne. Les principales conquêtes se sont faites aux abords de la rivière Montmorency dans Boischatel, de manière parsemée le long du fleuve dans chacune des municipalités puis, dans Beaupré jusqu’au pied du mont Sainte-Anne. Alors que les abords du fleuve avaient maintenu un caractère agricole dominant, l’accès facilité par le boulevard Sainte-Anne et l’attrait pour le fleuve ont favorisé l’émergence de résidences en bordure de la rive.
Dans le contrefort des Laurentides, la progression résidentielle s’est poursuivie dans Loretteville, Saint-Émile et Val-Bélair, dans les vallées des lacs Saint-Charles, Delage, Beauport et Saint-Joseph de même qu’aux abords des rivières Jaune et des Hurons et Jacques-Cartier dans Stoneham, Saint-Gabriel-de-Valcartier et Shannon.
De même, elle s’étend aussi dans Sainte-Catherine–de-la-Jacques-Cartier. Mais surtout, elle gagne maintenant des parcelles boisées, sur des terrains en pente et dans les collines du mont Bélair, du lac Saint-Charles, de Stoneham, du lac des Roches et de Sainte-Brigitte-de-Laval. Fossambault-sur-le-Lac et Lac-Delage représentent les municipalités les plus jeunes du territoire de la CMQ. Nées de l’essor de la villégiature et de la récréation en nature, elles symbolisent la banlieue en forêt au bord d’un lac dans le contrefort des Laurentides.
Après 2016. Vue du lac Saint-Joseph et de Fossambault-sur-le-Lac. On y retrouve parmi les propriétés ayant la plus haute valeur immobilière dans la région. Pierre Lahoud.
Avant 1937. Vue du lac Saint-Joseph. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N019080.
Sur l’île d’Orléans, à la suite de la construction du pont en 1935, des ajouts résidentiels de type banlieue ont surtout vu le jour près de l’accès au pont, le long de la route Prévost, dans les villages de Saint-Pierre, Sainte-Pétronille et Saint-Laurent. De nombreux chalets et résidences de villégiature s’implantent aussi de manière dense, sur de petits lots, dans les années 1940-50 et 60, entre le chemin Royal et la batture du fleuve, particulièrement du côté sud de l’île.
Cette présence de bâtiments dans les divers types de paysages suscite une forte transformation de l’espace ainsi que des répercussions sur les paysages de la région, dont une uniformisation et une atténuation de la perception des reliefs. Le « remplissage » d’espaces, autrefois cultivés, par de nombreux bâtiments a pour effet d’atténuer la perception des limites entre les différents types de paysages caractéristiques de la région. De même, la localisation de bâtiments dans des espaces stratégiques qui offraient des percées visuelles à partir de boulevards ou d’axes routiers importants suscite une perte de repères dans le paysage et appauvrit la qualité de ces parcours collectifs.
Après 2016. Les nombreuses constructions résidentielles ont considérablement atténué la lisibilité des caractéristiques cadastrales spécifiques au Trait-Carré. Pierre Lahoud.
Avant 1936. La forme concentrique des champs qui entourent le Trait-Carré de Charlesbourg est encore largement perceptible. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N023406.
Autres formes urbaines
La préséance de l’automobile influence également d’autres formes urbaines. En effet, plusieurs institutions et commerces quittent les quartiers centraux, reflétant la consommation de l’espace générée par l’usage de l’automobile. Par exemple, c’est le cas du campus de l’Université Laval et des centres d’achats à Sainte-Foy. À l’instar de la banlieue des années 1960, les premiers centres commerciaux se caractérisent par une faible échelle verticale, comme en témoigne cette comparaison 1960/2016 de Place Ste-Foy.
Après 2016. Place Ste-Foy. Pierre Lahoud.
Avant 1960. Centre commercial de Place Ste-Foy. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N023923.
Comme dans de nombreux cas ailleurs au Québec, les entrées de villes et de villages font l’objet d’insertions commerciales stéréotypées qui contrastent avec le caractère typique du quartier ou du noyau villageois ancien.
Plus tard, l’expansion du réseau autoroutier et la croissance urbaine favorisent l’émergence de méga-centres commerciaux dans Lebourgneuf, dans le secteur Duplessis de même qu’à Lévis, à l’entrée des ponts. Ces derniers, en concentrant un grand nombre de commerces, requièrent de grands espaces de stationnement et possèdent également une faible échelle verticale en comparaison de leur étendue. En complément, une verticalité émerge avec des édifices de plusieurs étages, dont certains de plus de trente étages, greffés à des pôles urbains dans Québec, sur la colline parlementaire, dans Saint-Roch et d’Estimauville de même qu’à Lévis, au centre-ville ou à l’entrée des ponts. Ces édifices marquent ainsi des artères commerciales, dont les boulevards Laurier ou Lebourgneuf.
Le port de Québec poursuit également sa croissance. À l’embouchure du fleuve et de la rivière Saint-Charles se construisent des quais en eau profonde sur les battures de Beauport, accentuant la coupure du quartier Limoilou avec le fleuve. Des industries s’éloignent des secteurs traditionnels et des voies ferrées. Branchées aux collectrices ou aux autoroutes, elles se concentrent désormais en parcs industriels monofonctionnels, désormais centrés sur le transport routier et régis par le juste-à-temps.
Fleuve et rivières, du béton à la récréation
Le fleuve Saint-Laurent et la rivière Saint-Charles représentent deux exemples éloquents de la transformation des cours d’eau dans la région en faveur d’une appropriation collective à des fins de récréation et d’une plus grande place de la nature en ville. Après la Deuxième Guerre, des abords du fleuve se transforment en lieu de villégiature, en zone industrielle et pétrolière ou en voie rapide automobile pour devenir une façade maritime requalifiée à des fins récréatives.
En effet, le long du fleuve, au cours des années 1960, des chalets essaiment le long de la rive à Saint-Augustin, à Sainte-Foy, à l’île d’Orléans ou dans l’ouest de Lévis. De longs murs en béton sont construits le long de rives à Saint-Augustin ou à l’île d’Orléans en relation avec l’ouverture récente de la voie maritime. Aujourd’hui, plusieurs chalets se transforment en résidence permanente. Après avoir été des lieux de baignade populaire, les plages de l’anse au Foulon à Québec et Garneau à Lévis sont délaissées et font place à des marinas. La construction des boulevards Champlain et Sainte-Anne et de l’autoroute Dufferin-Montmorency, de même que l’installation de quais, de réservoirs pour l’industrie pétrolière et de la raffinerie Valéro (Ultramar) multiplient les barrières entre le fleuve et les quartiers. Dans les années 1980 s’amorce un retour au fleuve avec l’aménagement d’une promenade en bordure du fleuve dans le Vieux-Port de Québec et la création du parc de la Plage-Jacques-Cartier à Sainte-Foy.
Il faut toutefois attendre l’an 2000 pour que le gouvernement du Québec manifeste son intention de « redonner le fleuve aux Québécois » en « mettant en valeur des paysages exceptionnels de l’agglomération de Québec » par la création d’une grande promenade urbaine. Les projets d’aménagement de la Promenade Samuel-De Champlain, de la Pointe-à-Carcy, de la Baie de Beauport, du bassin Brown et de la rivière Saint-Charles font partie d’un legs pour le 400e anniversaire de la ville de Québec. À Lévis, cette appropriation collective du fleuve se traduit par l’aménagement du Parcours des Anses sur l’emprise de la voie ferrée abandonnée. Alors qu’à l’île d’Orléans, les accès publics au fleuve s’inscrivent encore en relation avec les noyaux villageois de Sainte-Pétronille, de Saint-Laurent, de Saint-Jean et de Saint-François, les municipalités de Saint-Pierre et de Sainte-Famille ont peu de relation avec le fleuve par la présence de marais côtiers et l’abandon du quai de Sainte-Famille. Quant à la côte de Beaupré, outre de récents aménagements à Boischatel et L’Ange-Gardien, l’appropriation collective au fleuve demeure à construire face à l’importante privatisation de ses rives, exacerbée par l’enfilade de commerces et de manufactures implantées entre le boulevard Sainte-Anne et le fleuve. En contrepartie, l’agrandissement des installations portuaires poursuit l’industrialisation du secteur de l’anse au Foulon et de l’embouchure de la rivière Saint-Charles et de la baie de Beauport.
Quant à la rivière Saint-Charles, après la Deuxième Guerre, cette dernière passe d’un paysage d’arrière-cours d’industries en déclin à un paysage collectif linéaire qui revitalise les quartiers limitrophes. Inspiré par le canal Rideau à Ottawa, un projet d’embellissement et d’assainissement voit le jour au début des années 1970. De larges promenades pour piétons et cyclistes encadrent la rivière sur 10 km et favorisent l’appropriation récréative de ses berges comme aire de loisir. Cependant, de vastes remblais et la mise en place de murs de béton artificialisent les rives. C’est l’ère du béton ! « Nous avons fini de rêver en couleurs, nous commençons maintenant des rêves de béton » [29]. Puis, à partir de la fin des années 1990 jusque dans les années 2010, l’enlèvement des murs en béton, l’adoucissement des rives, leur naturalisation pour la réalisation d’écosystèmes diversifiés et l’implantation de sentiers multifonctionnels s’inscrit dans la vision d’une rivière vivante au sein d’un parc linéaire de 32 km reliant le centre-ville de Québec au lac Saint-Charles.
Choisies comme axes de développement et encadrées par des rues ou des routes, une majorité de rivières sont devenues l’arrière-cour de quartiers résidentiels, dont les rivières du Cap Rouge, Du Berger, Chaudière ou Etchemin. À l’instar de la rivière Saint-Charles, plusieurs d’entre elles font maintenant partie du projet de Plan des rivières mené par la Ville de Québec, visant la création de corridors verts récréatifs, ou des Coulées vertes et bleues par la CMQ.
Après Renaturalisation de la rivière Saint-Charles. Ville de Québec
Avant 1980. Les berges bétonnées de la rivière Saint-Charles. Ville de Québec, 53500b.
Paysages agricoles en régression !
Après la forêt, c’est au tour des paysages agricoles d’être repoussés de plus en plus loin vers la périphérie du territoire. En 2016, les terres cultivées occupent 286 km2, soit 8,4 % du territoire de la CMQ (excluant le fleuve et les Territoires non organisés, TNO). À l’époque du Régime français, puis, du Régime anglais, les paysages agricoles dominaient dans les Basses-terres du Saint-Laurent. Aujourd’hui, les terres cultivées y occupent près de 23 %, alors que le milieu anthropique, bâti ou modifié par l’homme, atteint 33 %. Les Basses-terres de la rive nord, de l’île d’Orléans et de Lévis se partagent de manière sensiblement égale, autour de 30 %, la répartition de ces terres cultivées.
Dans les Basses-terres du Saint-Laurent de la rive nord, alors que les terres cultivées occupent près de 18 % de la superficie, le milieu anthropique, bâti ou modifié par l’homme, compose près de 47 % de l’occupation. Des terres cultivées subsistent en périphérie des zones urbaines de Saint-Augustin, Québec, Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, entre les villages de la côte de Beaupré et au cap Tourmente. Des enclaves situées à proximité de quartiers résidentiels de basse densité, dont les terres des Sœurs de la Charité et des terres le long du boulevard Louis XIV, demeurent toujours en culture. Dans la plaine de Lévis, les terres cultivées occupent 19 % de la superficie et forment un large croissant au sud de la zone urbanisée. L’île d’Orléans conserve toujours un caractère agricole prédominant avec 45 % de terres cultivées par rapport à l’ensemble de l’île. Au nord, dans les Laurentides méridionales, des paysages agricoles distinguent la vallée de Saint-Tite-des-Caps, Saint-Gabriel-de-Valcartier et Tewkesbury. Les terres cultivées y occupent moins de 1 %.
Le milieu anthropique, bâti ou modifié par l’homme, occupe dorénavant 568 km2, soit près de 17 % du territoire de la CMQ, avec une prédominance dans les Basses-terres de la rive nord (46,6 %) et de Lévis (26,9 %). Sur l’ensemble du territoire de la CMQ la forêt occupe, en 2016, 2 201 km2, soit 65 % du territoire, mais sa répartition n’est pas uniforme. Les surfaces boisées atteignent 84 % de l’occupation du sol des Laurentides méridionales alors qu’elles composent 27,5 % des surfaces des Basses-terres du Saint-Laurent.
L’électrification rurale, mise de l’avant en 1945, change le visage des campagnes. Depuis, les paysages agricoles ont évolué et se sont transformés, notamment, avec la mécanisation de l’agriculture, la spécialisation des fermes selon le type de production et l’industrialisation des cultures. On y constate une forte diminution du nombre de fermes, une homogénéisation des cultures sur de grandes superficies, le redressement de nombreux cours d’eau, l’insertion de silos devenus les repères de fermes laitières et l’ajout de bâtiments à caractère industriel comme des entrepôts. Alors que les rangs étaient représentatifs d’un habitat rural aligné et dispersé, les nombreuses insertions bâties le long de ces routes en ont transformés plusieurs en une occupation rurale de plus en plus continue. Sur le territoire de la CMQ, l’île d’Orléans demeure un témoin éloquent du mode traditionnel d’occupation des Basses-terres du Saint-Laurent. En contrepartie, des espaces, autrefois dévolus à l’agriculture, font l’objet d’abandon de culture et sont progressivement reconquis par la forêt. C’est le cas notamment de secteurs localisés en bordure du fleuve ou au nord de l’avenue Royale sur la côte de Beaupré, comme en témoignent les photographies suivantes.
Après 2016. Vue actuelle de la côte de Beaupré. Pierre Lahoud.
Avant 1947. Vue de la côte de Beaupré, de la rivière Sainte-Anne jusqu’au cap Tourmente. W.B. Edwards inc., Archives de la Ville de Québec, N023668.
- En savoir plus : les rangs
Quelques voies de circulation ont conservé leur nom de rang, dont certains depuis le 18e siècle. Il s’agit particulièrement des 3e, 4e rangs et des rangs des Mines et Petit-Capsa à Saint-Augustin, des rangs Saint-Ange, Sainte-Anne, Saint-Denis et Beaumont près de l’aéroport dans Québec et du 5e-et-6e rang dans le secteur de Saint-Nicolas à Lévis.
Les réseaux d’infrastructures
La réalisation de l’autoroute Jean-Lesage (20) constitue un des premiers tracés réalisé dans la région au début des années 1960. La construction du pont Pierre-Laporte introduit une nouvelle signature moderne marquant l’entrée à la région dans les années 1970. Tout en créant de nouveaux parcours pour aller plus loin et plus rapidement, des autoroutes s’établissent en périphérie des centres et morcèlent de manière importante les espaces agricoles de Saint-Augustin, de Québec et de Lévis. Certains tronçons sont construits sur l’empreinte d’anciens boulevards, dont les autoroutes Henri-IV et Duplessis, ou même sur un ancien méandre de la rivière Saint-Charles dans la partie sud de l’autoroute Laurentienne. Implantées en ville, elles scindent des quartiers. Elles contribuent ainsi à une forte déstructuration de la trame originaire des lots et des rues. Les autoroutes Charest et Félix-Leclerc (40), Duplessis (540), Henri-IV et Robert-Cliche (73), Robert-Bourassa (740) et Laurentienne (973) s’étirent vers les quartiers périphériques et les banlieues des couronnes nord et sud. L’autoroute de la Capitale, prévue au départ pour contourner le centre-ville de Québec et implantée sur le rebord de la terrasse de Beauport, est maintenant bordée de commerces et d’ensembles résidentiels. L’autoroute Dufferin–Montmorency (440), établie directement en bordure de la rive, de la colline parlementaire au pont de l’île d’Orléans, forme une barrière supplémentaire avec le fleuve.
Quant à la route 175 vers Saguenay, construite à la fin des années 1990, elle représente la dernière autoroute de la région à ce jour. La largeur de l’emprise consacrée à des voies séparées par un large terre-plein a un effet considérable sur le paysage en favorisant un élargissement des perspectives visuelles, notamment vers les versants de Stoneham. Rejointes par le développement, l’ensemble de ces autoroutes servent d’axes pour l’implantation de centres d’achats, de parcs industriels et de nombreux commerces, orientés sur l’accès par automobile et recherchés pour la visibilité qu’ils procurent.
Avec les complexes hydroélectriques sur les rivières Manicouagan et aux Outardes des années 1960, les nouvelles lignes à 735 kV font leur apparition et correspondent aux premières traversées du fleuve, à l’île d’Orléans et à Sainte-Foy, bien avant que les études d’impact sur le paysage ne soient intégrées aux évaluations environnementales. Puis, d’autres corridors s’ajoutent avec le développement du complexe La Grande à la baie James à partir des années 1970. L’ensemble de ce réseau d’infrastructures hydroélectriques, lignes et postes, contribue à fragmenter les versants boisés de la côte de Beaupré, de Stoneham-Tewkesbury et du mont Bélair, des quartiers dans Québec et la plaine agricole de Lévis. Dans Québec, ces réseaux ajoutent particulièrement une forte confusion visuelle dans des secteurs largement visibles à partir des autoroutes Laurentienne (973) et Félix-Leclerc (40). Seulement depuis 2010, 5 nouveaux postes ont été construits dans Saint-Augustin, Limoilou, Charlesbourg, Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier et sur la côte de Beaupré pour répondre à la demande croissante, en remplacement de 5 postes devenus désuets. Une ligne d’aspect visuel amélioré, dite AVA, alimente le poste de Saint-Augustin et représente la nouvelle génération de pylônes développés en vue d’une meilleure intégration paysagère à la porte d’entrée métropolitaine ouest le long de l’autoroute 40, jugée paysage sensible dans le cadre d’une évaluation environnementale. Ce réseau se complète également d’un unique projet d’éoliennes sur les Terres du Séminaire dans des paysages forestiers éloignés. En complément du réseau routier et hydroélectrique, un important réseau de tours de télécommunications prend place sur de nombreux sommets de manière disséminée sur le territoire.
Perceptions des paysages
Le paysage urbain de la capitale est en profonde mutation. La silhouette bâtie de Québec évolue avec l’insertion de gratte-ciel soit, celui de l’Hôtel-Dieu, du Complexe G et des hôtels Hilton et Le Concorde. Le Complexe G domine le parlement et devient le nouveau symbole de la modernité et du gouvernement provincial à Québec. De nouvelles tours émergent également dans le paysage, marquant le pôle de Sainte-Foy près des ponts et le boulevard Laurier avec Place de la Cité et le complexe Jules-Dallaire. Si le pont de Québec, le pont Pierre-Laporte et les premières collines des Laurentides constituent des repères de l’entrée à la capitale, cette signature unique à la capitale s’atténue graduellement avec la construction d’un front bâti de plus en plus haut. Sur la rive sud, la silhouette bâtie de Lévis se transforme également avec la construction de la tour Desjardins exprimant un nouveau centre-ville.
Quant à la côte de Beaupré, ses versants boisés conservent toujours une forte intégrité qui contribue à la signature naturelle de la région. À l’est, le tracé des pistes de ski identifie le mont Sainte-Anne.
Voir l’eau et voir loin
Deux principaux éléments facilitent l’observation des paysages : la position dominante de l’observateur et la présence d’espaces ouverts. Le relief typique de la région avec ses collines, ses terrasses ou ses escarpements qui encadrent ou surplombent des vallées, des plaines, le fleuve et les rivières, offre de nombreuses opportunités d’observation des paysages. En complément, la présence d’espaces agricoles ou d’espaces ouverts favorise aussi des perspectives visuelles sur les paysages. Toutefois, l’extension urbaine a eu pour effet de bâtir et d’occuper de nombreux espaces ouverts de telle sorte que la lisibilité des reliefs et des cours d’eau dans le paysage s’en trouve amoindrie.
La vue sur le fleuve, sur les collines des Laurentides ou des vues d’ensemble sur le paysage constituent un facteur de valorisation dans le choix d’une destination récréative ou dans le choix de localisation d’une résidence. C’est pourquoi les bâtiments de communautés religieuses, les terrains d’industries en déclin ou les terrains vacants qui donnent accès à de telles vues sont convoités afin d’être restaurés, démolis ou requalifiés à des fins résidentielles. Les abords du fleuve, le rebord de l’escarpement, comme à Boischatel, à Saint-Augustin ou à Lévis, ou des versants stratégiques, comme le long de la route 175 à Stoneham, représentent des lieux recherchés pour leur valeur paysagère. Construits de plus en plus en haut, au-dessus des arbres ou du bâti environnant, certains immeubles visent à donner accès à la vue sur le paysage. À fortiori, le long du fleuve, la présence d’arbres est souvent perçue comme étant nuisible. Cette demande sociale de percées visuelles vers le fleuve génère des projets de gestion de la végétation ou même de coupes illégales d’arbres.
En contrepartie de cette appropriation privée, le souci d’une appropriation collective des vues sur le paysage de même que des abords du fleuve et des cours d’eau est sans cesse grandissant. La tour d’observation à Saint-François-de-l’Île-d’Orléans, l’Observatoire de la Capitale du haut du complexe G, l’aménagement de belvédères le long du fleuve, à la chute Montmorency ou à Sillery ou encore le long de différents parcours pédestres témoignent d’un désir de mettre en scène et de découvrir les paysages de la région.
Les valorisations paysagères
L’adoption de diverses lois révèle l’évolution des préoccupations sociales en matière de patrimoine, d’environnement, d’agriculture, de planification du territoire ou de développement durable et mène de manière directe ou indirecte à la protection ou la mise en valeur de portions des paysages. Ces préoccupations ont évolué en regard de l’échelle des éléments concernés, passant d’éléments ponctuels à des ensembles significatifs, et en regard de l’émergence d’une demande sociale. Chacune de ces différentes lois contribue à forger l’agencement des éléments bâtis et naturels de nos paysages actuels.
Dans le domaine du patrimoine, la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique de 1922 a permis de classer l’église Notre-Dame-des-Victoires de Québec et la maison des Jésuites-de-Sillery parmi les premiers monuments historiques. En 1952, la Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques élargit le champ d’action de la loi et inclut, entre autres, les terrains renfermant des civilisations anciennes et les paysages et sites présentant un intérêt scientifique, artistique ou historique. Amendée en 1963, la Loi sur les monuments historiques étend la protection légale à tout un territoire, au-delà d’un élément et de son environnement immédiat, et définit l’arrondissement historique. Quatre arrondissements historiques, devenus des sites patrimoniaux déclarés dans le cadre de la Loi sur le patrimoine culturel de 2011, protègent les plus vieux ensembles bâtis du territoire de la CMQ, soit le Vieux-Québec (1963, agrandi en 1964), les cœurs patrimoniaux de Beauport (1964 et agrandi en 1985), Charlesbourg (1965) et Sillery (1964), de même que l’île d’Orléans (1970). Puis, la Loi sur les biens culturels de 1972 précise, entre autres, des catégories de biens culturels et ajoute l’arrondissement naturel. En 1985, des modifications à la loi habilitent les municipalités à protéger leur patrimoine immobilier par une citation ou la constitution d’un site du patrimoine et trois bâtiments de l’Assemblée nationale du Québec sont déclarés « site historique national ». Le Vieux-Québec est également inscrit en 1985 sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO à titre d’exemple remarquable de ville coloniale fortifiée. Enfin, la récente Loi sur le patrimoine culturel de 2011 introduit la catégorie de paysage culturel patrimonial. Ce dernier, façonné à la fois par des facteurs naturels et des activités humaines, est reconnu par une collectivité pour ses caractéristiques paysagères remarquables. Toutefois, la région de Québec ne compte à ce jour aucun paysage culturel patrimonial. Aujourd’hui, de nombreux bâtiments ou ensembles de bâtiments de la région sont reconnus biens culturels. Plusieurs municipalités sur le territoire de la CMQ se soucient de la préservation du caractère patrimonial de leurs quartiers les plus anciens, comme c’est le cas à Lévis pour le Vieux-Lauzon, le Vieux-Lévis, le Vieux-Romuald, le Vieux-Charny et le Village Saint-Nicolas.
En environnement, la Loi sur la qualité de l’environnement (1972) et ses modifications subséquentes vont contribuer à la protection de milieux naturels et à la création de réseaux d’aires protégées. Les préoccupations à l’égard de l’environnement et l’expression d’une demande sociale à l’égard d’une meilleure qualité paysagère conduisent également à élargir l’évaluation des impacts pour considérer ceux sur le paysage concernant de grands projets, notamment dans l’implantation de corridors hydroélectriques, de barrages, de projets routiers et autoroutiers, puis plus récemment, de projets éoliens. Quant à la Loi sur le patrimoine naturel (2002), celle-ci introduit le paysage humanisé parmi les statuts d’aire protégée afin d’assurer la conservation de la biodiversité naturelle et anthropique d’un territoire habité. Jusqu’alors peu valorisés pour leur qualité paysagère, la récente Loi sur la conservation des milieux humides et hydriques (2018) vise à freiner la perte de milieux humides. Sur le territoire de la CMQ, la présence d’aires protégées en bordure du fleuve et dans les Laurentides favorise la préservation d’importants paysages naturels.
En regard de l’agriculture, l’expansion des banlieues et le morcellement des terres agricoles entraînent l’adoption de la Loi sur la protection du territoire agricole en 1978 afin de veiller à la pérennité de l’agriculture sur les meilleures terres de la vallée du Saint-Laurent. Des zones sur l’île d’Orléans, dans la plaine de Lévis et sur les terrasses de Saint-Augustin jusqu’à Cap-Tourmente contribuent à la préservation de paysages agricoles qui participent à la signature paysagère du territoire de la CMQ.
Concernant l’urbanisme et la planification du territoire, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), introduite en 1980 et ses modifications ultérieures, a mis en place une panoplie d’outils permettant d’encadrer le développement et les divers usages d’un territoire. Cette dernière encadre des obligations relativement au paysage pour les communautés métropolitaines et les municipalités régionales de comté. En effet, un plan métropolitain définit des orientations, des objectifs et des critères portant sur la protection et la mise en valeur du milieu naturel et bâti ainsi que des paysages afin d’assurer l’attractivité de leur territoire. Le schéma à l’égard du territoire d’une municipalité régionale de comté doit déterminer les parties de leur territoire présentant un intérêt d’ordre historique, culturel notamment patrimonial au sens de la Loi sur le patrimoine culturel, esthétique ou écologique.
Quant au développement durable, la loi adoptée en 2006 crée un cadre de responsabilisation des ministères et de nombreux organismes gouvernementaux afin que le développement réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Reconnaissant le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique, seize principes directeurs guident les actions de l’administration publique, dont celui de la protection du patrimoine culturel. Car la protection du patrimoine culturel, constitué de biens, de lieux, de paysages, de traditions et de savoirs, reflète l’identité d’une société.
La transition du nouveau millénaire a aussi inscrit une approche contemporaine où l’aménagement des paysages, des sites et places publiques exprime une sensibilité au patrimoine et à la culture. La réserve nationale de faune de Cap-Tourmente, le parc national de la Jacques-Cartier, la station touristique de Duchesnay ou, plus récemment, la Grande plée Bleue constituent des exemples de conservation visant à protéger un capital naturel exceptionnel pour rendre accessible à la population des territoires d’intérêt. Espaces agricoles, milieux humides, boisés ou bâtis, tous contribuent à forger la diversité et l’unicité des paysages de la région métropolitaine.
- En savoir plus : le parc national de la Jacques-Cartier
Dans les années 1970, l’annonce par Hydro-Québec d’un projet d’harnachement de la rivière Jacques-Cartier par la construction d’une centrale ayant pour effet de submerger une grande partie de la vallée crée une véritable mobilisation contre la destruction d’une des plus belles rivières du Québec. Cette opposition conduit à l’abandon du projet et à la création du parc national de la Jacques-Cartier. Ce parc vise à protéger un échantillon représentatif du massif des Laurentides et à offrir aux visiteurs l’opportunité de découvrir ses paysages de plateaux montagneux entrecoupés de vallées profondes où serpente la rivière. La création de ce parc coïncide avec l’avènement de la Loi sur les parcs dont se dote le gouvernement du Québec en 1977 afin d’établir des parcs de conservation et de récréation où l’exploitation des ressources est interdite.